Le tabou de la femme devenant mère


L’autre jour (enfin, l’autre semaine)(entre l’idée et la réalisation, il s’est passé un mois)(déso, j’avais un job à trouver, une adaptation à la crèche à faire… bref), je tombe sur un article qui parle d’un phénomène qui touche de nombreuses femmes : la phobie d’impulsion.

Avec une grande bienveillance, l’article nous parle de ces mères qui sont traversées par des pensées intrusives, la plupart du temps violentes de type :

“Et si d’un coup je jetais mon bébé sur le mur ?”.

La phobie d’impulsion, j’en avais une vision psychopathologique (pour les trois du fond qui n’ont pas suivi, je rappelle que je suis psychologue alors la phobie, ça me parle) mais je dois avouer que j’avais minimisé l’effet catalyseur qu’une grossesse pouvait avoir sur les femmes sujettes aux phobies d’impulsion. En même temps, avant d’être psy, je suis une femme et en tant que femme, aucun professionnel de santé ne m’a alertée à ce sujet. Ni ma gynécologue, que j’ai vu 8 fois au cours de ma grossesse, ni ma sage femme durant les 8 séances dédiées à la préparation, ni même celles rencontrées lors de l’inscription à la mater et de l’entretien pré-natal. Ni mon généraliste. Ni mon ostéo. Ni mon boulanger. Personne.

Pourtant, une fois ma fille née, j’ai été traversée par des impulsions particulièrement angoissantes. Et si je la faisais tomber ? Et si elle se noyait ? Et si je lui cassais le bras ? Autant de pensées angoissantes, dans un contexte déjà bien insécure. Une copine sur twitter, maman d’un petit garçon, disait s’être vue en train de lui faire une fellation. Je ne sais pas bien si vous réalisez la violence d’une telle image et des conséquences de celle-ci sur celle qui l’a eu en tête. Pourtant, elle n’est pas pédophile tout comme je suis attentive durant le bain de ma fille. Nous n’allons pas faire mal à notre enfant. Mais l’idée traverse, fugace.

Et ça peut valoir le coup d’être informée que ce genre de phénomènes peut potentiellement t’arriver quand tu viens d’accoucher.

En parallèle de cette lecture, j’ai eu vos retours sur le dernier article à propos des surprises de la grossesse.

Vous avez été unanime : vous avez toutes (enfin celles qui m’ont fait un retour) connu

un véritable bouleversement dans vos relations humaines. Vous avez toutes eu vos boucs-émissaires, vos humains détestés qui vous exaspéraient par leur simple présence.

Et bien ça non plus, on ne m’avait pas prévenu.

Parce que pour dire que la femme enceinte est caractérielle, qu’elle a des sautes d’humeurs, la faute aux hormones, qu’en gros, qu’elle est un peu hystéro (en même temps, c’est une femme, hein, winkwink…), y’a du monde. Mais pour t’informer du véritable bouleversement intérieur que tu vas vivre, pour te prévenir que ton système relationnel risque d’être repensé entièrement, alors là, y’a dégun. Alors que c’est déstabilisant. Quand vous avez envie de taper votre amie d’enfance à chaque fois qu’elle ouvre la bouche pour vous demander comment ça va, c’est un poil problématique.

Ces deux constats font naître chez moi une réflexion sur la place de la femme enceinte dans notre société et la représentation qu’on en a.

Durant ma grossesse, j’ai bouffé des tartines d’articles spam sur les vergetures ou les envies alimentaires cheloues et je ne dis pas que le sujet ne vaut pas la peine d’être abordé. Mais à aucun moment on ne m’a parlé des choses vraiment importantes. Même la question d’une potentielle dépression post-partum n’a pas été abordée alors que bon, c’est quand même hyper fréquent. En tant que psy, le sujet me semblait plutôt démocratisé mais en fait non. Oui on entend parler de la dépression post partum mais non, quand on est enceinte on ne nous explique pas de quoi relève cette dépression, des signes à repérer, des modes de prise en charge… Et une fois l’enfant pondu, on ne nous interroge pas sur la manière dont on se sent, psychiquement. Finalement, je me dis qu’il y a là quelque chose de l’ordre du tabou qui n’est pas complètement levé autour du corps de la femme enceinte. Ce que l’on aborde, ce qui est dit, ce qui est connu, ce que l’on transmet, c’est le cliché, le stéréotype de la fille chiante, le stéréotype de la fille grosse, le stéréotype du corps abîmé ou le stéréotype de la mère qui veut pas se séparer de son enfant.

Presque 9 mois apres mon accouchement, je me demande quelle est notre place de femme là-dedans, comment peut-on se réapproprier cet événement de notre vie.

Désacraliser, dédramatiser, informer, communiquer sur des choses qui finalement ne sont pas si grave mais qui, par manque de compréhension, peuvent être source d’angoisse, inutilement, un peu comme ces femmes qui ont découvert le concept des règles quand être ont trouvé du sang dans leur culotte. Moi, le jour où j’ai eu mes règles pour la première fois, je n’ai pas eu peur, parce que je savais ce qu’il se passait.

Je propose donc qu’on sorte du cliché rigolo de la femme enceinte qui se lève en pleine nuit pour manger des fraises, qui hurle sur tout le monde à partir de 35 SA parce qu’elle en a marre, qui n’arrive plus à mettre ses chaussures et qui ronfle. Je propose qu’on se réapproprie nos corps et nos psychées. Qu’on aborde les vrais sujets, ceux qui peuvent faire flipper les mères, les tétaniser parce qu’elles ont peur de tuer leur enfant. Ou juste celles qui, comme mois, à 5 mois de grossesse, vont se retrouver déchirées par la douleur, pensant perdre leur enfant alors qu’elles déclenchent juste un syndrome de lacome (douleurs ligamentaires +++). Vous pensez que c’est con ? J’ai une copine, maman de d’un petit mec de 2 ans, qui a découvert pendant ma grossesse soit 2 ans plus tard que les douleurs qui l’ont torturée pendant plusieurs mois portaient un nom et que c’était un syndrome connu, fréquent et bénin. Personne ne lui avait dit. Personne ne lui a expliqué.

En 2015.

ÉDIT : pour poursuivre la réflexion, vous pouvez écouter cet épisode d’un podcast à soi, c’est passionnant.

Crédit photo : unsplash.com

4 commentaires

  1. Valvert dit :

    Merci pour cet article qui va chercher là où l’on ne va jamais. Evidemment, je vois ceci de mon point de vue de papa, de « voisin » du phénomène. On ne peut pas connaître ce que l’on ne connaît pas et il s’agit là vraiment des abysses, c’est ici juste sous nos pieds mais c’est noir et profond, au mieux on peut nager au-dessus sans regarder…
    Sauf que, par modestie probablement, cet article touche à un phénomène assez universel, dans le sens où ce qui est révélé par cette situation de grossesse n’est par forcément étranger à tout un chacun : silencieusement, inconsciemment ou pas, cette situation peut arriver à tous, à un moment de la vie.
    Je vois un grand intérêt à ce que l’on en parle, comme tu le fais. Et que l’on expose, explique, dédramatise, mette à la terre (évacuer la tension) afin que chacun puisse mesurer qu’il existe des forces ou des pulsions qui nous dépassent et que nos conflits intérieurs font partie de nous même. Cela me paraît utile dans l’éducation, des filles ou des garçons, si l’on sait mettre des mots dessus. Un vrai boulot de psy…

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    1. Marie-Aurélie dit :

      Merci beaucoup ! Et oui, je travaille en ce moment sur ces tabous du quotidien avec lesquels nous devons composer. Il y a matière !

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  2. Romane dit :

    Bonjour Marie-Aurélie, je trouve cet article exceptionnel, instructif et courageux. J’en comprends que les phobies portées sur / par les bizarreries de notre fonctionnement mental de névrosé(e)s sont très lourdes à supporter, justement parce qu’ en bon névrosé(e)s on veut de toutes nos forces les empêcher et les réprimer et qu’elles nous envahissent, malgré tout, de temps en temps ou de plus belle. On est dans le registre éminemment puissant de l’imaginaire, par opposition aux passages à l’acte qui relèvent d’autres fonctionnements. Cet article m’a permis de mettre un nom sur ce phénomène et sur ce que je ressens, à partir de mes propres peurs les plus bizarres et les plus archaiques. Merci donc, lire vos articles conjugue plaisir et enrichissement.
    Romane

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    1. Marie-Aurélie dit :

      Merci beaucoup !

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