Scar est-il vraiment un méchant qui pue du cul ?


Article initialement posté sur mon blog professionnel.

Il y a peu, j’étais tranquillement installée avec mes amis à l’heure de l’apéro (que celui qui n’a jamais pris l’apéro me jette la première cacahuète) et nous profitions des dernières soirées d’été pour refaire le monde. Immanquablement, la discussion dérive sur les politiques (tous des vendus), les terroristes (tous des monstres), les harceleurs des rues (tous des pervers) et les électeurs du Front National (tous des cons). Vous la voyez venir, la ligne entre le bien et le mal ?

Parce que oui, confortablement installés sur nos transats, nous étions entrain de répartir les gens, le monde, en deux catégories : les gentils et les méchants.

C’est de cette dichotomie dont je voudrais vous parler

aujourd’hui et pour cela, je vous propose de vous re-plonger dans un des pires traumatismes de notre siècle : la trahison de Mufasa par son frère Scar qui entrainera sa mort (pour ceux qui n’ont toujours pas réussi à gérer l’angoisse liée au Roi Lion, n’hésitez pas à prendre rendez-vous avec moi…).

Alors, de quoi s’agit-il ?

Nous avons d’un côté Mufasa, qui vit sa vie pépouze avec sa femme et son gosse.Il a une belle situation (Roi, c’est quand même plutôt vers le haut de l’échelle sociale que vers le bas) et il aime l’humour, assez pour passer ses journées à rire aux éclats. Tout est beau sous le soleil. Mufasa est le gentil.

De l’autre côté, nous avons Scar, son frère. Célibataire endurci, il entretient une relation malsaine de type BDSM avec des hyènes qu’il humilie selon son bon vouloir, il a le regard vicieux et aime se balader dans de la fumée verte, ce qui est, avouons-le, un peu chelou. Scar est le méchant.

Le manichéisme de Disney pousse la caricature, prêtant au gentil Mufasa des traits doux, tout en rondeur et en chaleur là où le méchant Scar est anguleux et piquant, balafré et sombre.

Sans surprise, le méchant Scar, dévoré par la jalousie et avide de pouvoir, décide de tuer son frère en le balançant du haut d’une falaise après avoir utilisé le fils de ce dernier comme appât, le condamnant ainsi à des années de psychanalyse pour parvenir à dépasser sa culpabilité. Franchement, Scar, c’est pas sympa.

Ainsi, ce sont des générations entières de gosses qui ont pleuré à chaudes larmes la mort du gentil Mufasa.

Et si on prenait deux secondes pour regarder Scar avec bienveillance ?

Pas juste pour se dire qu’il a du vivre un évènement affreux et traumatique dans son enfance; traumatisme qui expliquerait pourquoi il s’est comporté comme un sacré bâtard mais plutôt pour voir le lion complexe qu’il est, avec des aspérités, des zones d’ombres et d’autres de lumières, des douleurs et des joies. Et surtout, peut-être, une méconnaissance de ses propres mécanismes.

Pensez-vous que Scar s’est interrogé avant de tuer son frère et qu’il s’est dit « ok, j’ai pesé le pour et le contre et je pense que ça vaut le coup » ? Ou encore « j’m’en fous que ça soit interdit ou mal, la seule chose qui compte, c’est moi » ? Probablement que non. Scar a trouvé ça légitime parce qu’au fond, c’est à lui que revient le rôle de roi, il pense l’avoir mérité. La jalousie maladive qu’il entretient à l’égard de son frère à qui tout réussit l’enferme dans un système de pensées faussé où le bien et le mal se fondent pour ne laisser la place qu’à l’accomplissement personnel. Il est possible qu’il trouve ça juste et c’est bien ça le problème.

Rares sont les gens qui ont un comportement de méchant tout en se sachant méchant. Hitler lui-même était persuadé du bien-fondé de ses actions : exterminer les juifs (et les handicapés, les homos, les gitans…), ce n’était pas mal, au contraire, c’était la décision juste que méritait son empire.

Nous pouvons nous interroger sur Scar ou sur Hitler : et s’ils avaient pu travailler leurs blessures au lieu de les nier ? Si Scar avait pu s’avouer qu’il crevait de jalousie à l’égard de son frère, que se serait-il passé ? Si cette colère sourde avait été travaillée dès son émergence au lieu de grandir, prenant jour après jour plus de place ?

Ne vous méprenez pas, je ne suis pas en train de faire une leçon de morale en vous demandant d’aimer votre prochain quels que soient ses actes ni d’être toujours empathique avec l’autre. Non. Mais peut-être que nous pouvons chacun nous interroger sur notre propre violence, nos propres blessures et les conséquences que ces dernières peuvent avoir, au quotidien. Prendre conscience que nous ne sommes pas un bloc de bienveillance et de douceur qui s’oppose à la méchanceté du groupe d’en face (nous reparlerons de la question du groupe, de l’identification et du bouc émissaire parce que c’est passionnant) mais que nous sommes chacun fait d’ombre et de lumière. Et nier l’ombre qui est en nous risque de nous amener à balancer notre frère du haut d’une falaise.